Le temps constitue indéniablement un élément clé des phases de transition.
Le temps y est à la fois contrainte et opportunité, douleur et libération, frein et levier.
Quand on prend conscience d’être dans une phase de transition, il y a souvent un certain temps que cette transition est en cours. Mais il aura fallu du temps pour le réaliser…
Il n’y a donc pas coïncidence entre le début de la phase de transition et sa conscientisation.
Ce laps de temps entre le début de la phase de transition et sa conscientisation varie très fortement en fonction des situations et des individus. Il est intéressant de noter que ce temps est d’autant plus long que la transition n’est pas souhaitée ou qu’elle est inconsciemment refusée.
Ainsi, on peut mettre des mois, voire des années avant de s’avouer (le terme avouer est employé à dessein) que l’on est en transition.
Le temps se trouve donc de facto au centre du sujet en tant qu’indicateur de la profondeur de la transition, d’une part, et de la manière dont elle est acceptée, souhaitée ou non, d’autre part.
Au-delà de ce temps mis à conscientiser la transition en cours, le temps s’impose à l’individu en transition.
Si son souhait est d’en sortir au plus vite, de rejoindre « la rive » vers laquelle il dérive, mais qu’il ne connaît pas encore et qu’il pressent pourtant, il n’en est rien et il lui faudra du temps pour y arriver.
Pire, la transition a besoin de temps, de temps long pour faire son œuvre, pour nous amener sur l’autre rive. Il ne s’agit pas d’un bond, mais bien d’un passage, et les deux rives sont parfois aussi éloignées que sur l’Amazone ou l’on se croit en pleine mer…
Le temps devient alors presque insupportable. Combien de fois, au début des accompagnements de transition professionnelle que je mène, mes clients expriment-ils une réelle frustration, voire un certain ressentiment, devant l’espacement des séances : « On ne pourrait pas se revoir plus tôt ? Ou plus souvent ? Une fois par semaine me semblerait bien car je suis pressé(e) d’avancer » ?
En essayant d’accélérer le rythme des séances, ces clients expriment en fait une impatience forte liée à l’angoisse de leur situation.
Perdus, désorientés, ils souhaitent s’extraire au plus vite de cette situation et l’espacement imposé entre les séances les plonge dans un fort stress qu’il leur faut pourtant accepter.
Une fois cet espacement accepté, le temps devient alors un allié.
Bien au-delà de l’impatience et des trépidations du monde moderne, le temps long offre une ressource insoupçonnée et puissante.
Il nous faut, en effet, nous extraire du tumulte quotidien, de cette immédiateté qui nous atteint tous, pour redécouvrir l’incroyable et indispensable sérénité qu’offre ce temps long.
Sans ce temps long, les représentations, les hypothèses et les solutions sont envisagées à l’aune de l’immédiateté dans laquelle nous avons l’habitude d’évoluer.
Or, pour envisager le futur, non pas à quelques semaines mais à plusieurs années, il est indispensable de prendre du recul, de modifier le curseur du rapport au temps, de « se retirer du monde », en quelque sorte.
Les Traditions spirituelles et les religions nous l’enseignent depuis longtemps. Pour prendre des décisions importantes, il est nécessaire de se retirer du monde, de faire « retraite », chacune selon un mode qui lui est propre : retraite dans le désert, dans des monastères, sous forme de méditation, dans la forêt, …
Une fois retiré du quotidien, du temps séculaire, il est alors possible de prendre du recul sur les choses et les événements, et de faire des choix engageants.
C’est ce à quoi nous invitent, au fond, les transitions. Pour rejoindre notre nouvel état, la nouvelle vie que nous sommes appelés à vivre, il nous faut prendre du recul, nous éloigner et nous affranchir de notre vie passée.
Et cette distance, cette rupture en quelque sorte, nécessite de modifier notre rapport au temps et d’accepter de ralentir.
C’est au demeurant ce à quoi le monde actuel est également invité.
Nous avons le sentiment de vivre dans un monde en pleine transition et, pour certains, la conscience que cette transition nous impose de ralentir. Ralentir le rythme effréné de nos vies, ralentir notre consommation, ralentir nos attentes frappées au sceau de l’immédiateté, ralentir sur nos routes, ralentir notre besoin d’informations, ralentir pour mieux profiter, mieux vivre, conscientiser qui se passe et ainsi prendre des décisions importantes, constructives et positives.
C’est ce temps long, auquel invite les chemins initiatiques (celui de Compostelle est probablement le plus connu et universellement connu depuis le roman de Paulo Coelho), qui constitue le challenge des transitions. Il nous faut emprunter ces chemins au temps qui s’étire pour nous extraire du monde avant de pouvoir y retourner, ayant pris les décisions qui nous conduiront là où serons alignés et à notre place.