Je suis souvent frappé de voir à quel point les personnes qui vivent une phase de transition se sentent perdues, parfois même angoissées car privées de repères, de leurs repères habituels.
Ce sentiment est aussi commun qu’il est normal. C’est même le propre des transitions.
Nous nous identifions à la vie que nous menons, à ce que nous faisons.
Dès lors, un changement dans notre vie provoque ipso facto une modification de notre être ou, à tout le moins, modifie la perception que nous avons de ce que nous sommes et de qui nous sommes.
Cette période de perte de repères n’est acceptable que pour autant qu’elle constitue le moyen d’accéder à l’étape suivante.
Les crises que nous traversons au cours de notre vie nous permettent de passer d’un état à un autre, d’un soi à un autre soi, avec des repères, des envies et des motivations différents.
Ainsi, la crise de milieu de vie, souvent appelée crise de la quarantaine, permet une transition majeure de notre être d’un état adulte à un autre état adulte, mais profondément différent.
Nous vivons une première transition fondamentale autour de la vingtaine, qui correspond au moment où l’on quitte ses parents pour devenir autonome.
Cette décennie voit la première transition importante de la vie, celle du passage à la vie d’adulte reconnu en tant que tel.
Le plus souvent autour de la trentaine, survient une autre transition importante, celle qui correspond à des choix qui vont orienter notre vie pour les vingt ou trente années suivantes (carrière, mariage, etc…).
C’est la décennie de la réalisation par le « faire ». Il importe alors de montrer sa compétence, de progresser, d’asseoir sa carrière et sa trajectoire professionnelle.
Puis, quelque part autour de la quarantaine, on regarde en arrière et en avant, on dresse un premier bilan de sa vie et on essaye de se projeter, pour la première fois, dans la dernière partie de sa vie.
C’est le moment où la question essentielle passe du « comment » au « pourquoi » ?
Si certains répondent avec une certaine aisance à cette question, nombreux sont ceux qui remettent en cause tout ce sur quoi ils ont bâtis leur vie : réussite professionnelle, famille, biens immobiliers, reconnaissance sociale, …
S’ils ne trouvent plus de sens à ce qui constitue leur vie, ils ont le sentiment que ce qui les constitue dans leur être est dépourvu de sens.
Ils sont alors profondément perdus, désorientés, en quête de sens, mais ne sachant pas comment y parvenir.
Certains décident alors de rompre brutalement avec ce qui représente le centre de leur ancienne vie, ce qui leur donne l’impression de les enchaîner à leur passé. Rompre, partir, abandonner, quitter… Tout ce qui peut les retenir à leur passé doit être rompu, brisé, détruit, anéanti.
On observe là des comportements qui ont pour objectif de matérialiser la phase de fin, de désengagement, qui est la première phase de toute transition. Ce n’est pas la rupture, le départ, l’abandon qui provoquent le début de la transition mais l’inverse.
C’est bien parce que la personne est déjà en transition qu’il lui apparaît alors indispensable de marquer cette phase de fin, préalable nécessaire à l’ouverture d’un nouveau chapitre de leur vie.
Ce type de comportement est d’ailleurs très difficile à vivre pour l’entourage de la personne en question. Souvent, l’entourage n’a effectivement pas vu venir la transition qui s’opérait au sein de leur conjoint, collègue, patron, ami et se retrouve pris de court, surpris par la rapidité et même la « brutalité » du changement opéré.
Nous avons tous dans notre entourage quelqu’un de proche qui a brutalement décidé de changer sa vie, de changer de vie.
L’un a quitté brutalement sa femme ou son mari, un autre aura quitté son emploi pour partir au bout du monde ouvrir un bar, un troisième aura décidé de quitter la profession d’avocat pour devenir artiste peintre, … La liste est longue.
Le changement opéré par le conjoint, ami ou collègue provoque d’ailleurs, par réaction, une phase de transition chez ceux ou celles qui subissent ce changement.
Abandonnée par son mari, la femme se trouve elle-même privée de ses repères et confrontée à une « fin » qui la projette dans la zone neutre, d’autant plus difficile à vivre qu’elle y sera arrivée brutalement.
Les collègues de celui parti brutalement au bout du monde pour ouvrir un bar se trouveront non seulement privé d’un collègue –un peu comme dans un deuil–, mais de surcroît, ce départ va les renvoyer eux-mêmes face à la question du sens de leur vie.
Brutalement confrontés à la décision de tout plaquer de leur collègue, ils se posent nécessairement à leur tour la question du sens de leur présence dans l’entreprise et doivent eux aussi expérimenter la fin d’une période de leur vie où la question ne s’était pas posée.
Pour ceux qui n’agissent pas par rupture brutale mais plutôt par un long questionnement interne, il y a deux grands types de questions qui se posent.
Il y a ceux qui ont accompli leur objectif initial (créer leur entreprise, devenir Directeur, acheter la maison de leurs rêves, devenir médecin, etc…) et qui se demandent « ce n’était donc que ça ? Et maintenant ? ».
Et il y a ceux qui doivent, au contraire, faire le deuil de leurs rêves (je ne serai jamais médecin, je n’aurai pas la maison de mes rêves, je n’aurai pas un métier qui me permet de voyager, …) et sont amenés à gérer les « jamais ».
Ce sont les deux grands types de questions qui marquent le début de la transition de la quarantaine. Certains ont obtenu ce qu’ils voulaient et doivent trouver un nouveau ressort à leur vie, et d’autres doivent faire le deuil de leurs rêves pour pouvoir élaborer de nouveaux projets et réussir la suite de leur vie.
N’allez pas croire que l’un des types de questions soit plus simple à résoudre que l’autre.
Chacune amène son lot de doutes, de questionnement, de remise en cause, de « pourquois » existentiels, car touchant au sens même de l’existence de chacun.
Mes accompagnements en coaching touchent le plus souvent au réalignement de la personne. J’entends par là au réalignement des différentes facettes de sa vie.
Il s’agit, en effet, au cours de cet accompagnement, de vivre la phase intermédiaire de transition.
En se lançant dans une démarche d’accompagnement, la personne s’envoie un message somme toute assez clair quoique le plus souvent non conscient au début : « je ne suis plus exactement là où j’étais, je sens bien que je suis en transition et que je suis en train de vivre un changement de fond, mais je ne suis pas encore arrivé, je ne sais pas encore exactement à quoi va ressembler mon autre rive, celle vers laquelle je suis déjà en route ».
Je me définis donc souvent comme un « passeur ».
J’accompagne mes clients quand ils sont précisément entre les deux rives. Perdus, désorientés, ils ont néanmoins conscience d’une chose : il se passe quelque chose d’important en eux qui les pousse à se confronter à la réalité d’une situation nouvelle et encore inconnue.
Ce n’est que lorsqu’ils ont actés cette modification qui se passe au plus profond d’eux-mêmes qu’ils peuvent choisir de s’occuper d’eux-mêmes pour qu’on les aide à avancer dans cette zone trouble qu’ils constatent mais ne savent pas appréhender, puisque privés de leurs repères habituels et ne disposant pas encore des outils qu’ils utiliseront demain.
Tout l’enjeu consiste alors à vivre pleinement cette période intermédiaire, en évitant les deux fameux risques du retour en arrière, d’une part, et de la précipitation, d’autre part. Un voyage à la découverte du soi profond…
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