Au cœur des transitions, on expérimente l’incertitude. Ce que l’on connaissait, nos repères, ce monde maîtrisé, nous n’avons d’autre choix que de l’abandonner, le quitter, lui faire nos adieux. Une force supérieure nous pousse à avancer et quitter un territoire bien connu, celui de notre vie passée, pour en rejoindre un autre que l’on ne connaît pas encore mais qui semble nous attirer inexorablement.
Et entre les deux, nous voici en territoire inconnu, un territoire dont on ne comprend ni l’utilité ni l’importance de prime abord.
Lorsque l’on prend conscience d’être dans ce fameux territoire inconnu, la réaction naturelle est de vouloir le quitter au plus tôt.
Le premier risque consiste à vouloir faire marche arrière, à retourner vers ce d’où l’on vient, d’aller à l’encontre même de cette force naturelle qui nous pousse à avancer.
Le retour en arrière ne fait que repousser le sujet de la transition, qui se manifestera à nouveau plus tard, inéluctablement…
Ce risque concerne majoritairement ceux qui sont entrés dans une phase de transition contre leur gré : licenciés, quittés par leur conjoint, obligés de déménager ou de quitter un pays, … La liste pourrait être longue de transitions initiées par des événements extérieurs que la personne subit.
Le second risque est de vouloir arriver trop vite sur « l’autre berge », de précipiter la transition et de ne pas respecter son tempo. C’est un réflexe naturel, lorsque l’on quitte un endroit, que de vouloir arriver au plus tôt, de découvrir ce nouveau monde qui s’offre à nous.
Les enfants en bas âge sont particulièrement sensibles à cette phase et l’expriment spontanément en demandant sans arrêt « quand est-ce qu’on arrive ? ». Cette question, bien connue des parents, retranscrit avec justesse cette impatience d’écourter au maximum le moment du voyage pour découvrir le lieu de vacances, d’arriver à destination.
Mais on ne peut y arriver sans le voyage, sans cet entre-deux pendant lequel on n’est plus exactement là où on était et pas encore arrivés à notre destination non plus.
Cette période n’a de sens qu’en ce qu’elle nous permet d’effectuer cette transition entre un état et un autre, entre une situation et une autre. Ce qui est troublant dans cette période, c’est qu’on la traverse sans bien la comprendre… Plus exactement, on ne la comprend complètement que lorsqu’on l’a quittée.
Mon “grand frère” Abdoulaye Bakaga, que je qualifierais de Sage, a cette formule si juste que je reprends souvent dans mes accompagnements : «on ne comprend vraiment que ce que l’on a dépassé».
C’est précisément ce qui rend si difficile à vivre et à comprendre cette phase de la transition pendant laquelle il ne se passe rien et où on ne fait que transhumer. C’est ce qui crée ce profond sentiment d’incertitude, si troublant et désagréable, qui nous pousse à repartir en arrière ou à vouloir avancer à marche forcée pour arriver plus vite.
L’incertitude fait pourtant bien partie du processus de transition.
C’est justement en s’y confrontant que l’on peut faire le chemin, passer d’un état à un autre, quitter ce que l’on connaissait pour endosser une nouvelle peau, se transformer, pour parvenir à cet autre être que l’on aspire à devenir mais que l’on ne connaît pas encore.
Comment pourrions-nous sérieusement nous transformer en continuant à nous raccrocher à nos vieilles certitudes? Celles-là mêmes qui nous avaient accompagnées jusque là ne feraient que nous emprisonner et nous retenir à un monde que nous sommes appelés à quitter, quoi qu’il en coûte, car l’appel est plus fort et le mouvement inéluctable.
Tous ceux qui ont connu une période de transition reconnaissent bien cette sensation étrange de ne pouvoir faire autrement que de constater cette transition, ce mouvement qui s’opère en nous et qui, loin de nous sembler sereine et confortable, nous déstabilise, nous fait perdre nos repères, parfois nos amis, notre conjoint, notre vie d’avant, mais dont on ne peut que constater qu’il s’impose à nous.
Certains finissent par tellement perdre leurs repères qu’ils ne savent plus identifier le mouvement, tant ils sont pris dedans, comme dans des sables mouvants dont on ne saurait comment s’extraire.
Et c’est là le troisième risque de la période de transition. C’est de s’y installer.
Ne sachant ni comment repartir (ou ne pouvant repartir) ni vers où aller, certains se retrouvent comme coincés, en quelque sorte « Lost in transition ».
C’est un risque qu’il ne faut pas négliger car il est plus fréquent qu’on ne pourrait le croire de prime abord.
Il semble toucher surtout ceux qui, au début, cherchent à arriver vite à destination.
Redoutant l’incertitude et l’absence de contrôle, de repères, ils s’empressent de quitter leur point de départ et essayent d’avancer à marche forcée. Ils croient, à un moment, avoir atteint LE point d’arrivée, qu’ils voient donc le plus souvent comme définitif, comme si la traversée ayant été si effrayante, il était important de bien marquer qu’on avait réussi à y survivre et qu’on était maintenant « bien arrivé ».
C’est oublier que la vie n’est pas un long fleuve tranquille et que les transitions sont des états qui se reproduisent, de fait, à plusieurs reprises dans notre vie.
Nous en connaissons tous au moins deux majeures : celle du passage de l’enfance à l’autonomie et celle de l’autonomie à la fin de notre existence, symbolisée par l’apparition de la canne dans l’énigme du Sphynx.
Aussi est-il important, lorsque l’on réalise que l’on est en transition, d’accepter aussi profondément que possible cette période d’incertitude que nous devons traverser et traverser complètement pour qu’elle puisse produire son œuvre.
Je clôturerais cet article par cette phrase de Kierkegaard que j’aime particulièrement : « Oser, c’est perdre pied momentanément. Ne pas oser, c’est se perdre soi-même »…
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